Biographie Paul Israel
1955 n’était pas une mauvaise année pour naître à Paris.
La rue du faubourg Saint-Denis, qui s’ouvrait d’un côté sur les rails des gares du Nord et de l’Est et de l’autre se fermait sur la « très belle et très inutile porte Saint-Denis » chère à André Breton, avec ses étals, ses voitures des quatre saisons bordant les trottoirs de cette très large avenue où se mélangeaient la Bretagne et l’Orient, s’ouvrant presque par surprise sur des passages aux verrières dangereuses et kaléidoscopiques, formait un monde suffisant au cœur d’un enfant qui, heureusement, changeait plus vite que la forme d’une ville.
Et puisqu’il doit être question de couleurs, c’étaient celles de la vie elle-même.
Je passais le concours d’entrée à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 1971 et m’inscrivais à l’atelier Gili.
Là, je rencontrais les membres du groupe « Bazooka » et un an plus tard participais avec eux et quelques étudiants des Arts-Appliqués à ma première exposition, dans la ville de Chelles, chef lieu de canton de Seine-et-Marne, station paléolithique (le grand Larousse).
De ces lointaines expositions collectives, de l’Etoile à Maurepas, je garde le souvenir de certaines personnes. J’y accrochais quelques papiers, puisque l’on m’invitait à le faire …
A partir de 1972 je partais souvent, les mains dans les poches, sur les routes d’Europe. L’imprévu et les situations parfois périlleuses nous font acquérir un esprit vif, un tact certain et un langage imagé.
Traversant la Grèce en guerre et l’Italie des années de plomb, j’échappais à l’horreur du tourisme bestial qui devait se répandre après la disparition des villes. Mes poches restaient idéales mais je ne courais plus les routes.
En 1976, je réunissais autour d’un projet de revue des artistes de l’Ecole. Parmi eux : Hervé Girardin, Oliviers Lebars, Roland Monpierre et Pierrille Tarnaud.
1978 : parution du numéro 1 de la revue « Le Vent ». Une série de revues axées sur la recherche de nouveaux rapports entre le texte et l’image paraitra de 1978 à 1985, dont 15 numéros des « Berceaux étroits ».
Paris jetait ses derniers feux.
Il était, jusqu’à la fin des années 1970, assez facile de vivre sans travailler et, si nous en changions souvent, la découverte d’un logement ressortissait davantage à l’exploration qu’à la course à l’abîme.
Dans ce groupe d’amis, l’esprit du surréalisme était une manière de liant. Certains d’entre nous connaissaient ou avaient connu quelques uns des proches de Breton.
Je ne me suis jamais dit surréaliste—et l‘Internationale Situationniste s’était dissoute en 1972.
Grace à une amie, je rencontrais le poète surréaliste Claude Tarnaud, né en 1922. Les nuits passées à parler au Mas de Salignan. Les aventures extraordinaires qu’il avait vécues avec Ghérasim Lucas et Stanislas Rodanski. Grace à Claude je connu aussi le groupe surréaliste belge d’alors.
Jacques Lacomblez m’invitait, avec Nelly ma compagne de toujours à passer quelques jours dans sa haute demeure de Bruxelles où passaient, non pas de ombres, mais on pourrait le dire ainsi: de grands oiseaux.
Je m’intéressais surtout aux poètes, qu’ils écrivent, fassent du cinéma, du théâtre, de la peinture, ou rien.
…
Des expositions personnelles à Paris, la région parisienne, Avignon et en Auvergne où ja vis depuis 2018 avec Nelly.
Ces expositions, celles des amis présents ou lointains, forment un réseau ténu où le précipité de la mémoire et de la surprise permet parfois au temps de retrouver ses prestiges.
Les Vialettes
21 juin 2025
Entretien – La Maison du Léopard
Catherine Pennec :
Paul, bonsoir, et merci d’être avec nous pour cette exposition La Maison du Léopard, dont le titre, à lui seul, nous ouvre déjà sur un imaginaire particulier. J’aimerais qu’on commence par le commencement… Comment s’est manifestée, chez vous, la vocation d’artiste ? Était-ce un appel précoce ou une révélation plus tardive ?
Paul Israel :
Je crois qu’une nature rêveuse et contemplative me prédisposait à une activité artistique. Très jeune, j’aimais autant écrire des contes que dessiner. Je faisais des petits livres avec des carnets. Tout ce qui était imprimé et illustré me fascinait.
Catherine :
Vous avez intégré les Beaux-Arts en 1971, à une époque charnière. Vous y avez rencontré le groupe Bazooka. Quel souvenir gardez-vous de cette période de formation, et en quoi a-t-elle influencé votre trajectoire ?
Paul :
La pratique du dessin d’après modèle à l’atelier a été très importante. Avant d’intégrer les Beaux-Arts, le dessin, pour moi, était une façon de reproduire un monde fantastique, que je trouvais dans des illustrations et chez certains auteurs : Poe, Stevenson… Là, je m’intéressais vraiment à l’architecture du corps humain. J’étais assez sauvage et les artistes du groupe Bazooka à l’atelier Gili ne se mêlaient pas aux autres. L’exposition avec eux à Chelles fut mon premier travail d’équipe.
Catherine :
Très vite, vous partez sur les routes d’Europe. Vous parlez de ces voyages comme d’une formation parallèle. Quel rôle ont joué ces itinérances dans votre développement artistique et personnel ?
Paul :
Ces voyages, effectués dans des conditions extrêmement précaires, ont été importants. Tout ce qui paraissait incroyable, après quelques jours devenait la vie courante ; mais une vie parallèle où les circonstances provoquaient des rencontres débarrassées de toutes les conventions. Aussi, la dimension fantastique que prennent les rues des villes et des villages dans l’errance. Les paysages s’imposaient. Je garde le souvenir précis de certains ports, des coques rouillées des paquebots s’élevant comme des murailles. De formidables peintures !
Catherine :
On sent chez vous un rapport très intime avec le langage, la littérature. Vous avez créé des revues, des objets textuels et visuels hybrides. Comment percevez-vous le lien entre le texte et l’image dans votre travail ?
Paul :
J’ai eu une révélation en lisant les poètes. J’ai pensé alors que l’on pourrait renouveler toute l’expression poétique en jouant avec le texte et l’image en contre-point. Cela ressemblait assez à des partitions, même si je n’ai pas l’oreille musicale. En revanche, le sens de la composition et de la couleur m’amenait assez tôt à la peinture.
Catherine :
Vous ne vous êtes jamais dit « surréaliste » et pourtant, cette veine est omniprésente dans votre œuvre, et vous avez côtoyé des figures qui s’y rattachent. Qu’est-ce qui vous attire dans l’esprit du surréalisme ?
Paul :
Avec le Romantisme, puis le Symbolisme, de grands courants s’imposaient en Europe, en rupture avec la tradition de l’art en tant que monde séparé. On trouvait chez leurs protagonistes, quelque soit le domaine qui était le leur, peinture, musique, théâtre, philosophie, la volonté d’aller dans une même direction. Des raisons historiques y présidaient, bien sûr. C’était l’affirmation du Moi, mais à Moi mêlé au monde. Un nombre non négligeable de ses représentants avait des intérêts scientifiques. Des sciences qui, à l’époque, participaient au ré enchantement du monde. Le surréalisme a été le dernier moment de ce courant le plus lucide et donc le plus critique. La poésie comme mode de connaissance s’épanchant dans la vie quotidienne allait être la meilleure arme contre toutes les idéologies .
Catherine :
Justement, vous avez rencontré des personnalités marquantes comme Claude Tarnaud ou Jacques Lacomblez. Que vous ont apporté ces rencontres, et comment ont-elles nourri votre art ?
Paul :
Les surréalistes que j’ai rencontré et avec qui j’ai eu des liens d’amitié étaient parmi les plus aventureux, après ceux de la première époque. Le refus de tout compromis, leur grande rigueur morale ainsi que la part prise dans certaines entreprises me confortait dans mes choix.
Catherine :
Parlons un peu de vos influences. Y a-t-il des peintres ou écrivains qui ont été des compagnons de route invisibles dans votre parcours ?
Paul :
Je vous parlais des symbolistes. Des peintres comme Gauguin, Redon et Munch étaient mes proches. Nerval, Baudelaire, Rimbaud et Mallarmé aussi, bien sûr. Assez vite je découvris, avec délectation, des artistes plus rares.
Catherine:
Vous avez chez vous une collection incroyable de livres d’art. Que vous apportent tous ces livres ?
Paul :
Les livres d’art représentent une petite partie de ma bibliothèque. Tous ces livres forment une vaste toile, tous sont reliés les uns aux autres. Dès que j’ai une intuition, une idée de travail, toute la toile se met à vibrer et des connections se font. Un intérêt renouvelé pour Gauguin, par exemple, pourra se trouver en corrélation avec un recueil de Mallarmé et un ouvrage sur la Révolution de 1848 en France… Je vis avec les livres.
Catherine :
Revenons maintenant à cette exposition : La Maison du Léopard. Ce titre est à la fois évocateur et mystérieux. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qu’il cache ou révèle ?
Paul :
Une expression me plaît beaucoup : « le léopard meurt avec ses taches ». C’est d’abord le titre d’une des toiles exposées. Le titre a sa beauté en soi. Il exprime aussi, je crois, l’inaltérable au milieu des ruines.
Catherine :
Et comment s’est construite cette exposition ? Y a-t-il un fil narratif ou symbolique qui la traverse ?
Paul :
Le fil narratif est celui de la traversée d’une époque. Jarry disait : « il est dans l’essence des symboles d’être symbolique. »
Catherine :
Vous vivez aujourd’hui en Auvergne, dans un cadre très différent de celui de votre jeunesse parisienne. En quoi ce changement de lieu a-t-il modifié votre rapport à la création ?
Paul :
Paris a été une ville habitée jusqu’en 1980, environ. Je n’avais aucune raison d’y rester. Mon rapport à la création ne dépend pas trop des lieux, même si les grands nuages d’Auvergne m’enchantent, mais plutôt de l’écoute du temps.
Catherine :
Pour conclure, Paul, si vous deviez définir en quelques mots ce que vous attendez d’une œuvre – qu’elle soit vôtre ou d’un autre – que diriez-vous ?
Paul :
Le peintre Markus Lüpertz a cette belle phrase : « sans peinture, le monde est uniquement consommé et n’est pas perçu. » Une œuvre devrait donner un surplomb sur le monde. Trop d’artistes sont, en fait, les publicistes de ce qui existe.
Informations pratiques :
Exposition : La Maison du Léopard
Dates : Du jeudi 11 septembre au samedi 11 octobre 2025
Lieu : Galerie Catherine Pennec
7 rue Philippe Marcombes
63000 Clermont-Ferrand
(Parking Cathédrale et Tram A station Hôtel de Ville)
Vernissage : jeudi 11 septembre à partir de 18h00
réalisation du site : nivoit-multimedia.com