Maurice Rocher, né le 1er août 1918 à Évron et décédé le 12 juillet 1995 à Versailles, est un peintre français dont l’œuvre est empreinte d’expressionnisme et de spiritualité. Formé aux Beaux-Arts de Paris et aux Ateliers d'art sacré sous l'égide de Maurice Denis et Georges Desvallières, il explore des thèmes intenses et souvent mystiques tels que les crucifixions, les suppliciés, les visages-matières, les femmes et les couples. Son art, influencé par Constant Permeke, se caractérise par des tonalités sombres, sa période brune, entre 1936 et 1965 et des compositions chargées d'une puissante matière picturale et plus colorées entre 1966 et 1995.
À partir des années 1940, il entreprend une production prolifique de vitraux, réalisant des œuvres pour plus d’une centaine d'édifices religieux en France et à l’étranger. Maurice Rocher est également cofondateur du Centre d'art sacré en 1948 et enseignera au sein de cette institution jusqu'en 1952. Il a exposé dans diverses galeries parisiennes et provinciales et a participé à des salons d'art renommés comme le Salon d’automne, la Biennale de Paris et plusieurs expositions internationales (Tokyo, Bruxelles, Téhéran). Malgré la reconnaissance de ses pairs, il demeure en marge des courants dominants de l’art contemporain, probablement parce que l’expressionnisme est guère prisé en France notamment dans la seconde partie du XXième siècle et sûrement en raison de sa démarche introspective, sa rigueur personnelle et son exigence qui font de lui un homme peu enclin aux flatteries et compromissions.
Maurice Rocher demeure un artiste inclassable, un « anarcho-mystique » pour reprendre les termes de l’un de ses biographes. Marqué tout d’abord par la foi, puis par le doute et enfin la quête de sens, son travail demeure une interrogation sur les valeurs éternelles entre le sacré et le profane. En accueillant cette rétrospective, la Galerie Catherine Pennec souhaite faire redécouvrir l’œuvre intense de cet artiste à travers une exposition qui invite à une réflexion sur les grands thèmes de l'existence.
Les séries exposées :
Collections publiques
Allemagne
Wiesbaden
Belgique
Bruxelles, Musée d'Art Moderne
Fondation Veranemann
Bastogne, Eglise : vitraux, 1969
Humain et Hargimont, Eglise de Réchrival : vitraux, 1958
Marloie, Eglise Saint-Georges : vitraux, 1955
France
Abbeville, Eglise Saint-Gilles : vitraux, 1966
Aron, Eglise : vitraux, 1957
Athis-Mons, Eglise Notre-Dame-de-la-Voie : vitraux, 1954
Auray, Basilique : vitraux, 1973
Auray, Petit séminaire Sainte-Anne : vitraux, 1965
Beaumont-en-Auge, Eglise : vitraux, 1950
Brest, Artothèque, Bibliothèque municipale
Brest, Eglise Saint-Louis : vitraux, 1956
Bretteville-sur-Laize, Eglise Notre-Dame de la Visitation : vitraux, 1958
Caen, Abbaye-aux-Dames : vitraux, 1960
Caen, Chapelle du château : vitraux, 1969
Cannes, Musée de la Castre
Cavigny, église : vitraux, 1961
Château-Gontier, Basilique Saint-Jean : vitraux, 1956
Châteaulin, Juvénat des frères de Plöermel : vitraux, 1963
Châteauroux, Musée des Cordeliers
Courseulles, Eglise Saint-Germain : vitraux, 1952
Coutances, Chapelle du séminaire : vitraux, 1954
Dôle, Musée
Elnes, Cathédrale : vitraux, 1969
Évron, Chapelle de la Maison Mère des Sœurs de la Charité : vitraux, 1959
Guernes, Eglise Notre-Dame : vitraux, 1955
Hagondange, Eglise : vitraux, 1960
Kermaria, Chapelle de la Maison Mère des Sœurs : vitraux, 1968
Landévennec, Abbaye bénédictine : vitraux, 1966
Langrune-sur-Mer, Eglise : vitraux, 1966
Le Mesnil-Véneron, Eglise Notre-Dame-de-la-Salette : vitraux, 1953
Le Pecq, Eglise Saint Thibault : vitraux, 1962
L'Isle-Adam, Eglise Saint-Martin : vitraux, 1970
Lyon-Vaise, Eglise : vitraux, 1958
Mayenne, Basilique Notre-Dame : vitraux, 1956 ; église Saint-Martin
Merville, Grand séminaire : vitraux, 1961
Nantes, Basilique Saint-Nicolas : vitraux, 1961
Nantes, Musée des beaux-arts
Nyoiseau, Eglise : vitraux, 1948
Paris, Département des estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France
Paris, Centre Georges Pompidou
Paris, Eglise Saint-Dominique : Le Verbe et la Parole, 1946, fresque ornant la voûte en cul-de-four
Paris, Fonds National d'Art Contemporain
Paris, Musée National d'Art Moderne
Plouharnel, Abbaye Sainte-Anne de Kergonan : vitraux, 1970
Poitiers, Musée Municipal Sainte-Croix
Pontmain, Basilique Notre-Dame : vitraux, 1975
Pontoise, Musée Municipal
Royan, Eglise : vitraux, 1952
Royan, Eglise Notre-Dame-de-l'Assomption : vitraux, 1957
Saint-Nazaire, Couvent des Franciscains : vitraux, 1955
Saint-Omer, Musée de l'Hôtel Sandelin
Sainte-Suzanne-et-Chammes: église Saint-Pierre de Chammes: vitraux, 1951; 14 tableaux du Chemin de Croix.
Solesmes, Abbatiale Saint-Pierre : vitraux, 1974
Strasbourg, Institut Notre-Dame de Sion : vitraux, 1951
Thaon, Eglise : vitraux, 1953
Toulouse, Cathédrale Saint-Étienne : vitraux, 1962
Troyes, Musée d'Art Moderne
Versailles, Chapelle du Grand Séminaire : vitraux, 1964
Versailles, Eglise Sainte-Jeanne d'Arc : vitraux, 1977
Versailles, Musée Lambinet : L'usine à gaz, crayon gras, 1950
Vimereux, Eglise Immaculée Conception : vitraux, 1958
Vitré, Chapelle de la Maison Mère des Sœurs de Guilmarais : vitraux, 1970
Grand-Duché de Luxembourg
Clervaux, Abbaye : vitraux, 1960
Irlande
Dublin, Gallery of Modern Art
Mexique
Guadalajara, temple expiatoire : vitraux, 1966
Chihuahua, Musée de Cuauhtemoc
Taiwan
Taïchoung, Musée National des Beaux-Arts de Taïwan
Vatican
Musées du Vatican
Salons
Paris, Salon des réalités nouvelles, 1968 à 1985
Paris, Salon Grands et jeunes d’aujourd’hui, 1976 à 1981
Téhéran, Première exposition internationale des arts, décembre 1974 - janvier 1975
Salon d'automne, 1960 à 1970
Tokyo, Exposition internationale d'art figuratif, 1964
Exposition universelle de Bruxelles, 1958
Paris, Biennale des jeunes artistes, 1957
Paris, Musée Galliera, Célébrités et révélations de la peinture contemporaine, 1953
Paris, galerie Charpentier, Cent chefs-d'œuvre d'art sacré, 1952
Paris, Salon d’art sacré, 1945-1949
Paris, Salon des moins de trente ans, 1941
Expositions
Galerie Catherine Pennec, Clermont-Ferrand, 2025
Galerie Ories, Lyon, 2024
Cabana Georgina, Marseille, 2024
Versailles au XXe siècle, musée des artistes, Musée Lambinet,
Versailles, septembre-novembre 2020
Galerie Zafman, Paris, 2008
Galerie Pierre Marie Vitoux, Paris, mars-avril 2017
Galerie Pierre Marie Vitoux, Paris, 2005, 2007
Galerie Olivier Nouvellet, Paris, 1998, 2002, 2006
Galerie 17, Clermont-Ferrand, 1998
Galerie Pierre Marie Vitoux, Paris, 1991, 1992, 1996, 1997
Musée d'art Roger-Quilliot, Clermont-Ferrand, 1995
Galerie 17, Clermont-Ferrand, 1994
Musée Lambinet Versailles
Abbaye de Saint-Riquier, Saint-Riquier (Somme), 1994
Galerie Olivier Nouvellet, Paris, 1993
De Bonnard à Baselitz - Dix ans d'enrichissements du cabinet des estampes, 1978-1988, Bibliothèque nationale de France, Paris, 1992
Rétrospective à la Chapelle de la Sorbonne, Paris, 1991
Galerie Bourdette, Honfleur, 2011
Peintures 1966-1986 à Châtearoux les Cordeliers
Rétrospective à l'Abbaye de Veruela Province de Saragosse
Rétrospective à l'Abbaye de l'Escaladieu, Bonnemazon, Tarbes
Abbaye des Cordeliers, Châteauroux, 1988
Centre d'Art Contemporain de Mont-de-Marsan, 1988
Les figurations des années 60 à nos jours, exposition itinérante (Dunkerque, Cagnes-sur-Mer, Troyes, Carcassonne, Châteauroux), 1986-1987
Retrospective Musée de la Castre à Cannes
Rétrospective Musée d'art moderne de Troyes, 1986
Galerie Convergence, Nantes, 1982, 1986
Mairie du 18e arrondissement de Paris, 1985
Mairie du Chesnay
Galerie Protée, Paris, 1983, 1984, 1988
Galerie Serge Garnier, Paris, 1983
Palais de l'Europe, Le Touquet, 1983
Musée du Vieux Château, Laval, 1981
Syn'art, Paris 1980
Forum des Cholettes
Maison des Arts Thonon-les-Bains
Galeria Altex, Madrid, 1977
C.M.A.M Sarcelles, 1977
Galerie Ariel, Paris, 1976, 1979
Paris MJC les Hauts de Belleville
Paris MJC Poterne des Peupliers
Centre d'animation culturel, Arles,
Château de Braux "Cent visages", St-Cohières, 1976
Parc Régional d'Armorique, 1975
Musée de l'Hôtel Sandelin, Saint-Omer, 1974
Galerie Veranneman, Bruxelles, 1970
A.P.I.A.W, Liège, 1970
Paris, C.I.R.E.C. "Itinéraires" 1954-1968
Galerie Jacques Massol, Paris, 1968, 1970, 1972
Galerie Drouant, Paris, 1964
Musée de Poitiers, 1953
Association des amateurs de peinture, Galerie Jacques Leuvraix, Paris, janvier 1949
Publications
De l'expressionnisme en peinture, Rezé, Séquences, 1991
Journal 1945-1983, Laval, Éditions Siloé, 1990
Journal, Barèges, Centre international de l'Hospitalet, 1981
Filmographie
"Maurice Rocher, l’Expressionniste", un film de Franck Saint Cast, 2008 (copie 35 mn)
"Cinq peintres expressionnistes", moyen métrage réalisé par Charles Chaboud, 1983-1984. Produit par TF1, diffusé par TF1 et l'INA. avec Orlando Pelayo, John Christoforou, Bengt Lindström, Maurice Rocher et Vladimir Veličković18.
Vidéos
1981, "Maurice Rocher"
Film (10 minutes) de Thibaud Camdessus
1981, "Maurice Rocher " rétrospective Musée de Laval
Film (14 minutes) par Charles Schaettel
1986, "Maurice Rocher , Itinéraire"
Film (15 minutes) par Philippe Huneau (INA).
Bibliographie
Ouvrages
Dictionnaire des arts plastiques modernes et contemporains, Jean-Pierre Delarge, Gründ, 2001.
Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, Emmanuel Bénézit, Gründ, 1999.
"Maurice Rocher, Peintures 1986-1993", Texte de Nathalie Cottin, Edition Altarima, Parids, 1994, reprod
"Entretiens avec Maurice Rocher, Le Peintre, Dieu , la Femme, Paris", Nathalie Cottin, Éditions Altamira, 1994.
"Maurice Rocher De l'Expressionnisme en peinture" Editions Séquences, Rezé, 1991
"Maurice Rocher - Journal 1945 - 1983", Edition Siloë, 1990
"Maurice Rocher" Gérard Xuriguera, Edition Mayer, 1987
"Maurice Rocher, Femmes et Notables", Textes de J. Leanceau, G;Xuriguera, J.M Dunoyer, Editions d'Art Moderne, Paris, 1983, reprod.
"Maurice Rocher Journal Extraits", Centre National de l'Hospitalet, Barèges, 1981, reprod.
"Maurice Rocher", Gérard Xuriguera, Edition "Art Moderne", Paris, 1970
Catalogues monographiques
1995, Musée des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand
Textes de N.Cottin , M. Rocher
1994, Abbaye de St-Riquier
Textes de N.Cottin , M. Rocher
1991, Paris Chapelle La Sorbonne
Textes de N.Cottin , M. Rocher
1986, Musée de Castre, Cannes
Textes de F.Nédellec, J.Clair, M. Rocher
1986, Musée d'Art Moderne de Troyes
Textes de M.Rocher, Ph. Chabert, G.Xuriguera, B.Dorival, J.J Lévèque, M. Lelong, J.M. Dunoyer
1981, Musée de Laval
Textes de Ch.Schaettel, G.Xuriguera, M. Rocher "Journal" extraits
Ce que disent les critiques d’art à son sujet :
"Maurice Rocher est l’un de ces samouraïs de la peinture comme l’étaient ses homologues dits expressionnistes de la fin du 20ième siècle : Constant Permeke (l’inspirateur de ses jeunes années) , Bengt Lindström , John Christoforou, Orlando Pelayo, Chaïm Soutine, Bernard Lorjou et bien d’autres. Il était un peintre de l’énergie et de la vérité intérieures, du courroux céleste, de l’intensité de la douleur et de la pitié. Il était un révolté en soi, un « blessé du dedans », un combattant indépendant pour la justice et la beauté, sans idéologie parasite, ni engagement politique superflu, farouchement individualiste et libre. Et c’est bien cette fureur interne, qui constituait le matériau de sa peinture, une matière ainsi dépassée, sublimée, transcendée, dans une figuration où la forme l’emporte sur le sujet, et qui invente son écriture plastique personnelle, avec sa syntaxe et son vocabulaire propres."
Nicole Esterolle
Extrait de l’article de sur l’oeuvre de Maurice Rocher
« La palette de Maurice Rocher est exclusivement faite de noirs, de blancs et de quelques terres. Art fortement engagé dans les boues du réel. Son thème est l'homme qu'il prend aux deux pôles à la fois charnels et sacrés de sa vie, la naissance et la mort. Une muette et comme animale tendresse y paraît, qui est plutôt compassion qu'apaisement. Cependant; au-dessus de ces personnages tout raidis dans leur acquiescement à un destin qu'ils accomplissent dans la nuit, le ciel nuageux se blanchit de lueurs d'aube. Le vitrail vient curieusement compléter cet art volontaire et un peu triste par une joie de couleurs enfin libérées qui semble bien déployer aux hautes fenêtres des églises la joie même de l'homme racheté et régénéré. »
Joseph Pichard
« Artiste d'une grande hardiesse, mais toujours émouvant. »
Henri Héraut
« Microcosme d'un contexte social très contemporain, reflet d'un regard pessimiste sur la destinée humaine, l'art de Maurice Rocher épingle sans relâche les prototypes d'une société veule et hypocrite qui dissimule sa moralité douteuse sous les oripeaux ridicules et pompeux des rites sans âme d'un pouvoir établi. Personnages galonnés, veuves abusives, notaires bouffis, ambassadeurs auto-satisfaits, dictateurs suffisants, composent cette iconographie féroce et sarcastique, chargée de vecteurs sociologiques. Rien de moins innocent que ces visages tuméfiés, soumis à l'ire d'une touche gestuelle et baroque qui lézarde à plaisir des morphologies aux chairs ravinées. »
Gérard Xuriguera
« Dans une voie peu fréquentée hormis par Rouault, Soutine et Permeke, Maurice Rocher s'est fait le portraitiste d'une humanité souffrante. Sa peinture est le miroir des tares cachées d'une âme paroxystique. Corps et visages sont sabrés par un pinceau qui exploite toutes les richesses d'une palette goyesque. Des fulgurances en noir et rouge zébrées de blanc dictent les formes convulsives d'êtres de chair et de sang. »
Lydia Harambourg
Galeriste : Maurice Rocher, merci de m’accorder cet entretien sous ce format. Votre œuvre est vaste et complexe, et j’aimerais commencer par le début. Parlez moi de votre enfance. Comment s’est manifestée votre vocation pour l’art?
Maurice Rocher : Tout a commencé à Évron, dans cette Mayenne si paisible et empreinte de mystère. Mes parents étaient tous deux issus de familles nombreuses. Mon père était chef de gare. Ma mère me confiait souvent à ma grand-mère qui me laissait libre. Mais c’est mon grand-oncle, peintre à Laval, qui m’a réellement donné le goût de l’art. Il m’a offert ma première boîte de couleurs. J’avais 12 ans, et ce fut une révélation. Je passais des heures à dessiner tout ce qui m’entourait.
Galeriste : Vous avez grandi près de la basilique d’Évron. Est-ce là que votre lien avec le sacré s’est tissé ?
Maurice Rocher : Oui. Les longues heures passées dans la basilique, en particulier devant la Pietà du XVe siècle, m’ont profondément marqué. Mes nombreuses heures passées à L’abbaye de Solesmes également. L’art sacré, c’était plus qu’une formation : c’était une manière de transcender la réalité, d’atteindre une sorte d’épure spirituelle. À cette époque, je croyais profondément en Dieu. Cela guidait mon pinceau.
Galeriste : Mais vous avez progressivement tourné le dos à la foi. Que s’est-il passé ?
Maurice Rocher : La vie, tout simplement avec son lot de tragédies et de désillusions. Trois évènements vont déclencher ce tournant. La perte en 1968 de l’un de mes enfants, Jean-Baptiste, en pleine force de l’âge, il avait 24 ans. Un choc insurmontable. La mort du prêtre colombien guérillero abattu par les forces au pouvoir (1966), dont le visage va être pour moi source d’inspiration de la peinture d’un visage en particulier et de mes futurs suppliciés. Et puis, en toile de fond, le Concile Vatican II qui m’a achevé. Voir l’Église dilapider son patrimoine spirituel et architectural au profit d’un modernisme vide… C’était insupportable. Après cela, j’ai tourné le dos à la foi et à l’Eglise catholique.
Galeriste : Pourtant, vos vitraux continuent de résonner auprès des croyants. Vous avez marqué l’art sacré de votre empreinte. Quel était votre rapport à ces commandes ?
Maurice Rocher : Ambivalent. Je me donnais corps et âme à ces projets, mais je savais que ma peinture personnelle ne pourrait jamais y transparaître, c’était un travail à part. Dans une église, l’artiste doit se faire discret. Ce n’est pas son ego qui importe, mais le climat qu’il crée dans le respect de l’architecture des lieux.
Galeriste : Vos œuvres personnelles, notamment après 1965, semblent empruntes d’une violence et d’une tension nouvelles. Que s’est-il passé ?
Maurice Rocher : La rupture. Avec l’Église catholique, avec moi-même. La peinture est devenue mon exutoire. Je peignais des suppliciés, des visages matière, des couples. C’était une manière d’exorciser mes douleurs.
Galeriste : Parlez moi de certaines de vos séries très marquantes comme ces églises déformées, les visages matières, les suppliciés.
Maurice Rocher : Ces églises ce sont mes cathédrales intérieures, souvent féminines, parfois monstrueuses. Leurs façades baroques se métamorphosent progressivement en être vivant. Elles se désarticulent, s’étirent, s’animent, se mettent parfois en route.
Les visages matière, c’est la dissolution de l’humain dans la matière brute, un cri face à l’absurdité de la condition humaine.
Quant aux suppliciés… Ce sont des martyrs modernes, des figures de douleur universelle, à commencer par la mienne. Vous exposez notamment mon supplicié N°21, je me suis à l’époque posé la question « combien de temps vais-je jouer ainsi avec le feu avant moi aussi de devenir , physiquement comme l’un d’entre eux…. Demain, demain, serai je le N°21 ?»
Galeriste : Je vous rends hommage, Monsieur Rocher, par l'intercession de votre fille Claire. Nous avons intitulé cette exposition rétrospective avec des œuvres issues de vos séries emblématiques : "Maurice Rocher : du Sacré à la Comédie humaine". En quoi cela résonne-t-il en vous ?
Maurice Rocher : Votre titre… il est juste. Ce passage du sacré à la comédie humaine, c’est toute ma trajectoire, non seulement en tant qu’artiste, mais en tant qu’homme. Avant, je cherchais des réponses dans le divin, dans une lumière qui viendrait d’en haut pour apaiser les doutes, guérir les blessures. Mes toiles de cette époque, elles en portent encore la trace : des couleurs sombres, brunes et tendues, presque douloureuses, qui tentaient d’atteindre quelque chose d’inaccessible.
Mais peu à peu, j’ai compris que cette quête d’absolu, elle me fuyait, ou peut-être que c’est moi qui m’en éloignais. Et alors, j’ai commencé à regarder ailleurs. Pas vers les cieux, mais vers les hommes, leurs gestes, leurs failles, leurs désirs, leurs souffrances, leur morgue. Le rouge vif a dominé sur le rose chair. La comédie humaine, c’est ça : un théâtre où nous jouons tous des rôles, avec notre grandeur et nos absurdités mêlées. C’est tout compte fait ce qu’expriment mes peintures satyriques des notables (avocats et magistrats, généraux, ambassadeurs, cardinal, tous ces gens de pouvoir…).
Galeriste : Si vous vous êtes éloigné de la foi, croyez vous encore en l'homme ?
Maurice Rocher : Croire en l’homme ? Croire en lui je ne pense pas. Croire en ce qu’il est, avec ses ombres et ses éclats, oui certainement. Il y a une force, une beauté indéniable dans cette fragilité. Mes œuvres plus récentes en témoignent : des personnages souvent imparfaits, abîmés, parfois grotesques, mais profondément humains dans leur violence et leur fragilité.
Donc, pour répondre à la question précédente, oui, votre titre résonne en moi. Il parle d’une évolution, mais aussi d’une acceptation : celle de la condition humaine surtout dans tout ce qu’elle a de tragique. C’est ce que traduisent mes visages tendus et angoissés toujours tendus vers le haut en interrogation ainsi que mes suppliciés et mes couples.
Galeriste : j’aimerais que nous évoquions votre rapport complexe à la femme. La femme dans votre œuvre me semble occuper une place importante et parfois ambiguë.
Maurice Rocher : Dans ma vie, la femme a été une obsession. La femme est à la fois muse et figure sacrée, mais aussi incarnation de mes désirs assouvis ou refoulés, comme je l’ai écrit dans mon journal de bord: « la chair refusée, la chair triomphante et l’Ange noir qui attend son heure, comme les vautours très haut dans le ciel ». Avant 1965, mes représentations féminines évoquent souvent une spiritualité mystique, proche de l’idéal marial. « Dans les moments où j’avais tous les éléments pour être heureux, la Femme mythique s’est toujours interposée. C’était la femme de chair que je rencontrais en allant dans la rue. Elle s’interposait comme un écran ». Après 1965, la femme devient plus terrienne, ironique, parfois ogresse aux seins lourds, « cette mangeuse d’hommes tant de fois peinte qu’il fallait donc que je l’expérimente moi-même un jour ».
Galeriste : Que souhaitez vous léguer à la postérité ?
Maurice Rocher : Je ne souhaite rien léguer. Mes œuvres parlent pour elles-mêmes. Je peins pour exorciser mes démons, pas pour plaire ou être compris. Mais si mes vitraux, mes toiles, mes églises-femmes, mes visages matière, peuvent encore toucher sincèrement quelqu’un, alors peut-être que cela vaut la peine.
Galeriste : On vous dit inclassable mais on vous définit cependant comme peintre expressionniste. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’expressionnisme ?
Maurice Rocher : un critique d’art en 1983 m’avait demandé de lui écrire quelques mots sur l’expressionisme. Voici ce que je lui avait écrit : « L'expressionnisme est un "état", une façon d'être, de sentir, de vivre. Il est une exaspération, un déséquilibre, une anomalie, un don empoisonné, mais celui-là qui l'a reçu sait voir et dire ce qui est caché aux autres, même s'il en meurt parfois. Il sait le bouillonnement du sang. Comme un médium, il ressent l'angoisse tellurique, existentielle, cette soif d'absolu que tout homme porte et ignore. L'expressionnisme peut être panthéiste, solaire, il est aussi enfer, il est toujours passion, les mots bonheur et joie ne font pas partie de son jeu, il est plus que le baroque, maléfique parfois, sacré toujours.
On naît expressionniste, on ne le devient pas. La défiguration n'est pas l'expressionnisme. C'est, au-delà, cette pulsion de la vie à travers la chair, le sang, le feu, la démesure, la folie, parfois la mort. Les hommes le supportent mal, de quelque pays qu'ils soient, les Français moins que tout autres. Intemporel par excellence, rarement reconnu, mais inséparable de l'homme, de son cheminement tragique et de son destin.
On tue les expressionnistes comme on tue les prophètes. »
Galeriste : quelle phrase de conclusion ! Que souhaiteriez vous dire à ceux qui vont découvrir votre travail lors de cette exposition ?
Maurice Rocher : l’art est une quête, jamais une réponse. Que ceux qui me regardent cherchent eux-mêmes ce qu’ils doivent trouver.
réalisation du site : nivoit-multimedia.com