Maurice Rocher (1918-1995)


Maurice Rocher, né le 1er août 1918 à Évron et décédé le 12 juillet 1995 à Versailles, est un peintre français dont l’œuvre est empreinte d’expressionnisme et de spiritualité. Formé aux Beaux-Arts de Paris et aux Ateliers d'art sacré sous l'égide de Maurice Denis et Georges Desvallières, il explore des thèmes intenses et souvent mystiques tels que les crucifixions,  les suppliciés, les visages-matières, les femmes et les couples. Son art, influencé par Constant Permeke, se caractérise par des tonalités sombres, sa période brune, entre 1936 et 1965 et des compositions chargées d'une puissante matière picturale et plus colorées entre 1966 et 1995.

À partir des années 1940, il entreprend une production prolifique de vitraux, réalisant des œuvres pour plus d’une centaine d'édifices religieux en France et à l’étranger. Maurice Rocher est également cofondateur du Centre d'art sacré en 1948 et enseignera au sein de cette institution jusqu'en 1952. Il a exposé dans diverses galeries parisiennes et provinciales et a participé à des salons d'art renommés comme le Salon d’automne, la Biennale de Paris et plusieurs expositions internationales (Tokyo, Bruxelles, Téhéran). Malgré la reconnaissance de ses pairs, il demeure en marge des courants dominants de l’art contemporain, probablement parce que l’expressionnisme est guère prisé en France notamment dans la seconde partie du XXième siècle et sûrement en raison de sa démarche introspective, sa rigueur personnelle et son exigence qui font de lui un homme peu enclin aux flatteries et compromissions.

 

Maurice Rocher demeure un artiste inclassable, un « anarcho-mystique » pour reprendre les termes de l’un de ses biographes. Marqué tout d’abord par la foi, puis par le doute et enfin la quête de sens, son travail demeure une interrogation sur les valeurs éternelles entre le sacré et le profane. En accueillant cette rétrospective, la Galerie Catherine Pennec souhaite faire redécouvrir l’œuvre intense de cet artiste à travers une exposition qui invite à une réflexion sur les grands thèmes de l'existence.

 

Les séries exposées :

  • Églises : ces œuvres proposent une vision mystique et anthropomorphe des édifices religieux, où la structure des églises se confond avec des éléments humains et mythiques, révélant un feu et un questionnement intérieur de Maurice Rocher sur sa propre foi.
  • Notables : série satirique et introspective, les « Notables » capturent des personnages aux postures et traits exagérés, symboles de la comédie humaine et des travers sociaux.
  • Femmes et Couples : une exploration de la féminité et des relations humaines, où la femme devient à la fois muse et incarnation de l'absolu, mais également ogresse et mangeuse d’hommes. Dans les couples, Rocher développe une iconographie complexe de rapports de pouvoir et de dépendance.
  • Visages et Suppliciés : toute la lucidité de l’artiste sur la souffrance humaine au travers de ces visages déformés par la souffrance, l’être humain dans son dernier affrontement avec sa destinée.
  • Les Gouaches en noir et blanc : elles reprennent les thèmes des séries emblématiques du peintre

 

Collections publiques

Allemagne

Wiesbaden

Belgique

Bruxelles, Musée d'Art Moderne

Fondation Veranemann

Bastogne, Eglise : vitraux, 1969

Humain et Hargimont, Eglise de Réchrival : vitraux, 1958

Marloie, Eglise Saint-Georges : vitraux, 1955

France

Abbeville, Eglise Saint-Gilles : vitraux, 1966

Aron, Eglise : vitraux, 1957

Athis-Mons, Eglise Notre-Dame-de-la-Voie : vitraux, 1954

Auray, Basilique : vitraux, 1973

Auray, Petit séminaire Sainte-Anne : vitraux, 1965

Beaumont-en-Auge, Eglise : vitraux, 1950

Brest, Artothèque, Bibliothèque municipale

Brest, Eglise Saint-Louis : vitraux, 1956

Bretteville-sur-Laize, Eglise Notre-Dame de la Visitation : vitraux, 1958

Caen, Abbaye-aux-Dames : vitraux, 1960

Caen, Chapelle du château : vitraux, 1969

Cannes, Musée de la Castre

Cavigny, église : vitraux, 1961

Château-Gontier, Basilique Saint-Jean : vitraux, 1956

Châteaulin, Juvénat des frères de Plöermel : vitraux, 1963

Châteauroux, Musée des Cordeliers

Courseulles, Eglise Saint-Germain : vitraux, 1952

Coutances, Chapelle du séminaire : vitraux, 1954

Dôle, Musée

Elnes, Cathédrale : vitraux, 1969

Évron, Chapelle de la Maison Mère des Sœurs de la Charité : vitraux, 1959

Guernes, Eglise Notre-Dame : vitraux, 1955

Hagondange, Eglise : vitraux, 1960

Kermaria, Chapelle de la Maison Mère des Sœurs : vitraux, 1968

Landévennec, Abbaye bénédictine : vitraux, 1966

Langrune-sur-Mer, Eglise : vitraux, 1966

Le Mesnil-Véneron, Eglise Notre-Dame-de-la-Salette : vitraux, 1953

Le Pecq, Eglise Saint Thibault : vitraux, 1962

L'Isle-Adam, Eglise Saint-Martin : vitraux, 1970

Lyon-Vaise, Eglise : vitraux, 1958

Mayenne, Basilique Notre-Dame : vitraux, 1956 ; église Saint-Martin

Merville, Grand séminaire : vitraux, 1961

Nantes, Basilique Saint-Nicolas : vitraux, 1961

Nantes, Musée des beaux-arts

Nyoiseau, Eglise : vitraux, 1948

Paris, Département des estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France

Paris, Centre Georges Pompidou

Paris, Eglise Saint-Dominique : Le Verbe et la Parole, 1946, fresque ornant la voûte en cul-de-four

Paris, Fonds National d'Art Contemporain

Paris, Musée National d'Art Moderne

Plouharnel, Abbaye Sainte-Anne de Kergonan : vitraux, 1970

Poitiers, Musée Municipal Sainte-Croix

Pontmain, Basilique Notre-Dame : vitraux, 1975

Pontoise, Musée Municipal

Royan, Eglise : vitraux, 1952

Royan, Eglise Notre-Dame-de-l'Assomption : vitraux, 1957

Saint-Nazaire, Couvent des Franciscains : vitraux, 1955

Saint-Omer, Musée de l'Hôtel Sandelin

Sainte-Suzanne-et-Chammes: église Saint-Pierre de Chammes: vitraux, 1951; 14 tableaux du Chemin de Croix.

Solesmes, Abbatiale Saint-Pierre : vitraux, 1974

Strasbourg, Institut Notre-Dame de Sion : vitraux, 1951

Thaon, Eglise : vitraux, 1953

Toulouse, Cathédrale Saint-Étienne : vitraux, 1962

Troyes, Musée d'Art Moderne

Versailles, Chapelle du Grand Séminaire : vitraux, 1964

Versailles, Eglise Sainte-Jeanne d'Arc : vitraux, 1977

Versailles, Musée Lambinet : L'usine à gaz, crayon gras, 1950

Vimereux, Eglise Immaculée Conception : vitraux, 1958

Vitré, Chapelle de la Maison Mère des Sœurs de Guilmarais : vitraux, 1970

Grand-Duché de Luxembourg

Clervaux, Abbaye : vitraux, 1960

Irlande

Dublin, Gallery of Modern Art

Mexique

Guadalajara, temple expiatoire : vitraux, 1966

Chihuahua, Musée de Cuauhtemoc

Taiwan

Taïchoung, Musée National des Beaux-Arts de Taïwan

Vatican

Musées du Vatican

 

Salons 

Paris, Salon des réalités nouvelles, 1968 à 1985

Paris, Salon Grands et jeunes d’aujourd’hui, 1976 à 1981

Téhéran, Première exposition internationale des arts, décembre 1974 - janvier 1975

Salon d'automne, 1960 à 1970

Tokyo, Exposition internationale d'art figuratif, 1964

Exposition universelle de Bruxelles, 1958

Paris, Biennale des jeunes artistes, 1957

Paris, Musée Galliera, Célébrités et révélations de la peinture contemporaine, 1953

Paris, galerie Charpentier, Cent chefs-d'œuvre d'art sacré, 1952

Paris, Salon d’art sacré, 1945-1949

Paris, Salon des moins de trente ans, 1941

 

Expositions 

Galerie Catherine Pennec, Clermont-Ferrand, 2025

Galerie Ories, Lyon, 2024

Cabana Georgina, Marseille, 2024

Versailles au XXe siècle, musée des artistes, Musée Lambinet,

Versailles, septembre-novembre 2020

Galerie Zafman, Paris, 2008

Galerie Pierre Marie Vitoux, Paris, mars-avril 2017

Galerie Pierre Marie Vitoux, Paris, 2005, 2007

Galerie Olivier Nouvellet, Paris, 1998, 2002, 2006

Galerie 17, Clermont-Ferrand, 1998

Galerie Pierre Marie Vitoux, Paris, 1991, 1992, 1996, 1997

Musée d'art Roger-Quilliot, Clermont-Ferrand, 1995

Galerie 17, Clermont-Ferrand, 1994

Musée Lambinet Versailles

Abbaye de Saint-Riquier, Saint-Riquier (Somme), 1994

Galerie Olivier Nouvellet, Paris, 1993

De Bonnard à Baselitz - Dix ans d'enrichissements du cabinet des estampes, 1978-1988, Bibliothèque nationale de France, Paris, 1992

Rétrospective à la Chapelle de la Sorbonne, Paris, 1991

Galerie Bourdette, Honfleur, 2011

Peintures 1966-1986 à Châtearoux les Cordeliers

Rétrospective à l'Abbaye de Veruela Province de Saragosse

Rétrospective à l'Abbaye de l'Escaladieu, Bonnemazon, Tarbes

Abbaye des Cordeliers, Châteauroux, 1988

Centre d'Art Contemporain de Mont-de-Marsan, 1988

Les figurations des années 60 à nos jours, exposition itinérante (Dunkerque, Cagnes-sur-Mer, Troyes, Carcassonne, Châteauroux), 1986-1987

Retrospective Musée de la Castre à Cannes

Rétrospective Musée d'art moderne de Troyes, 1986

Galerie Convergence, Nantes, 1982, 1986

Mairie du 18e arrondissement de Paris, 1985

Mairie du Chesnay

Galerie Protée, Paris, 1983, 1984, 1988

Galerie Serge Garnier, Paris, 1983

Palais de l'Europe, Le Touquet, 1983

Musée du Vieux Château, Laval, 1981

Syn'art, Paris 1980

Forum des Cholettes

Maison des Arts Thonon-les-Bains

Galeria Altex, Madrid, 1977

C.M.A.M Sarcelles, 1977

Galerie Ariel, Paris, 1976, 1979

Paris MJC les Hauts de Belleville

Paris MJC Poterne des Peupliers

Centre d'animation culturel, Arles, 

Château de Braux "Cent visages", St-Cohières, 1976

Parc Régional d'Armorique, 1975

Musée de l'Hôtel Sandelin, Saint-Omer, 1974

Galerie Veranneman, Bruxelles, 1970

A.P.I.A.W, Liège, 1970

Paris, C.I.R.E.C. "Itinéraires" 1954-1968

Galerie Jacques Massol, Paris, 1968, 1970, 1972

Galerie Drouant, Paris, 1964

Musée de Poitiers, 1953

Association des amateurs de peinture, Galerie Jacques Leuvraix, Paris, janvier 1949

 

Publications

De l'expressionnisme en peinture, Rezé, Séquences, 1991

Journal 1945-1983, Laval, Éditions Siloé, 1990

Journal, Barèges, Centre international de l'Hospitalet, 1981

 

Filmographie

"Maurice Rocher, l’Expressionniste", un film de Franck Saint Cast, 2008 (copie 35 mn)

"Cinq peintres expressionnistes", moyen métrage réalisé par Charles Chaboud, 1983-1984. Produit par TF1, diffusé par TF1 et l'INA. avec Orlando Pelayo, John Christoforou, Bengt Lindström, Maurice Rocher et Vladimir Veličković18.

 

Vidéos 

1981, "Maurice Rocher"

Film (10 minutes) de Thibaud Camdessus

1981, "Maurice Rocher " rétrospective Musée de Laval

Film (14 minutes) par Charles Schaettel

1986, "Maurice Rocher , Itinéraire"

Film (15 minutes) par Philippe Huneau (INA). 

 

 

Bibliographie

Ouvrages

Dictionnaire des arts plastiques modernes et contemporains, Jean-Pierre Delarge, Gründ, 2001.

Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, Emmanuel Bénézit, Gründ, 1999.

"Maurice Rocher, Peintures 1986-1993", Texte de Nathalie Cottin, Edition Altarima, Parids, 1994, reprod

"Entretiens avec Maurice Rocher, Le Peintre, Dieu , la Femme, Paris", Nathalie Cottin, Éditions Altamira, 1994.

"Maurice Rocher De l'Expressionnisme en peinture" Editions Séquences, Rezé, 1991

"Maurice Rocher - Journal 1945 - 1983", Edition Siloë, 1990

"Maurice Rocher" Gérard Xuriguera, Edition Mayer, 1987

"Maurice Rocher, Femmes et Notables", Textes de J. Leanceau, G;Xuriguera, J.M Dunoyer, Editions d'Art Moderne, Paris, 1983, reprod.

"Maurice Rocher Journal Extraits", Centre National de l'Hospitalet, Barèges, 1981, reprod.

"Maurice Rocher", Gérard Xuriguera, Edition "Art Moderne", Paris, 1970

 

Catalogues monographiques

1995, Musée des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand

Textes de N.Cottin , M. Rocher

1994, Abbaye de St-Riquier

Textes de N.Cottin , M. Rocher

1991, Paris Chapelle La Sorbonne

Textes de N.Cottin , M. Rocher

1986, Musée de Castre, Cannes

Textes de F.Nédellec, J.Clair, M. Rocher

1986, Musée d'Art Moderne de Troyes

Textes de M.Rocher, Ph. Chabert, G.Xuriguera, B.Dorival, J.J Lévèque, M. Lelong, J.M. Dunoyer

1981, Musée de Laval

Textes de Ch.Schaettel, G.Xuriguera, M. Rocher "Journal" extraits

 

 

Ce que disent les critiques d’art à son sujet : 

 

"Maurice Rocher est l’un de ces samouraïs de la peinture comme l’étaient ses homologues dits expressionnistes de  la fin du 20ième siècle : Constant Permeke (l’inspirateur de ses jeunes années) , Bengt Lindström , John Christoforou, Orlando Pelayo, Chaïm Soutine, Bernard Lorjou et bien d’autres. Il était un peintre de l’énergie et de la vérité intérieures, du courroux céleste, de l’intensité de la douleur et de la pitié. Il était un révolté en soi, un « blessé du dedans », un combattant indépendant pour la justice et la beauté, sans idéologie parasite, ni engagement politique superflu, farouchement individualiste et libre. Et c’est bien cette fureur interne, qui constituait le matériau de sa peinture, une matière ainsi dépassée, sublimée, transcendée, dans une figuration où la forme l’emporte sur le sujet, et qui invente son écriture plastique personnelle, avec sa syntaxe et son vocabulaire propres."

Nicole Esterolle

Extrait de l’article de  sur l’oeuvre de Maurice Rocher

https://lagazettedenicole.art/maurice-rocher-merveilleux-peintre-anarcho-mystique/Nicole Esterolle,
Août 2024 

« La palette de Maurice Rocher est exclusivement faite de noirs, de blancs et de quelques terres. Art fortement engagé dans les boues du réel. Son thème est l'homme qu'il prend aux deux pôles à la fois charnels et sacrés de sa vie, la naissance et la mort. Une muette et comme animale tendresse y paraît, qui est plutôt compassion qu'apaisement. Cependant; au-dessus de ces personnages tout raidis dans leur acquiescement à un destin qu'ils accomplissent dans la nuit, le ciel nuageux se blanchit de lueurs d'aube. Le vitrail vient curieusement compléter cet art volontaire et un peu triste par une joie de couleurs enfin libérées qui semble bien déployer aux hautes fenêtres des églises la joie même de l'homme racheté et régénéré. »

Joseph Pichard

« Artiste d'une grande hardiesse, mais toujours émouvant. »

Henri Héraut

« Microcosme d'un contexte social très contemporain, reflet d'un regard pessimiste sur la destinée humaine, l'art de Maurice Rocher épingle sans relâche les prototypes d'une société veule et hypocrite qui dissimule sa moralité douteuse sous les oripeaux ridicules et pompeux des rites sans âme d'un pouvoir établi. Personnages galonnés, veuves abusives, notaires bouffis, ambassadeurs auto-satisfaits, dictateurs suffisants, composent cette iconographie féroce et sarcastique, chargée de vecteurs sociologiques. Rien de moins innocent que ces visages tuméfiés, soumis à l'ire d'une touche gestuelle et baroque qui lézarde à plaisir des morphologies aux chairs ravinées. »

Gérard Xuriguera

« Dans une voie peu fréquentée hormis par Rouault, Soutine et Permeke, Maurice Rocher s'est fait le portraitiste d'une humanité souffrante. Sa peinture est le miroir des tares cachées d'une âme paroxystique. Corps et visages sont sabrés par un pinceau qui exploite toutes les richesses d'une palette goyesque. Des fulgurances en noir et rouge zébrées de blanc dictent les formes convulsives d'êtres de chair et de sang. »

Lydia Harambourg

 


Entretien imaginé entre la galeriste Catherine Pennec et Maurice Rocher

 

Galeriste : Maurice Rocher, merci de m’accorder cet entretien sous ce format. Votre œuvre est vaste et complexe, et j’aimerais commencer par le début. Parlez moi de votre enfance. Comment s’est manifestée votre vocation pour l’art?

Maurice Rocher : Tout a commencé à Évron, dans cette Mayenne si paisible et empreinte de mystère. Mes parents étaient tous deux issus de familles nombreuses. Mon père était chef de gare. Ma mère me confiait souvent à ma grand-mère qui me laissait libre. Mais c’est mon grand-oncle, peintre à Laval, qui m’a réellement donné le goût de l’art. Il m’a offert ma première boîte de couleurs. J’avais 12 ans, et ce fut une révélation. Je passais des heures à dessiner tout ce qui m’entourait.

 

Galeriste : Vous avez grandi près de la basilique d’Évron. Est-ce là que votre lien avec le sacré s’est tissé ?

Maurice Rocher : Oui. Les longues heures passées dans la basilique, en particulier devant la Pietà du XVe siècle, m’ont profondément marqué. Mes nombreuses heures passées à L’abbaye de Solesmes également. L’art sacré, c’était plus qu’une formation : c’était une manière de transcender la réalité, d’atteindre une sorte d’épure spirituelle. À cette époque, je croyais profondément en Dieu. Cela guidait mon pinceau.

 

Galeriste : Mais vous avez progressivement tourné le dos à la foi. Que s’est-il passé ?

Maurice Rocher : La vie, tout simplement avec son lot de tragédies et de désillusions. Trois évènements vont déclencher ce tournant. La perte en 1968 de l’un de mes enfants, Jean-Baptiste, en pleine force de l’âge, il avait 24 ans. Un choc insurmontable. La mort du prêtre colombien guérillero abattu par les forces au pouvoir (1966), dont le visage va être pour moi  source d’inspiration de la peinture d’un visage en particulier et de mes futurs suppliciés. Et puis, en toile de fond, le Concile Vatican II qui m’a achevé. Voir l’Église dilapider son patrimoine spirituel et architectural au profit d’un modernisme vide… C’était insupportable. Après cela, j’ai tourné le dos à la foi et à l’Eglise catholique.

 

Galeriste : Pourtant, vos vitraux continuent de résonner auprès des croyants. Vous avez marqué l’art sacré de votre empreinte. Quel était votre rapport à ces commandes ?

Maurice Rocher : Ambivalent. Je me donnais corps et âme à ces projets, mais je savais que ma peinture personnelle ne pourrait jamais y transparaître, c’était un travail à part. Dans une église, l’artiste doit se faire discret. Ce n’est pas son ego qui importe, mais le climat qu’il crée dans le respect de l’architecture des lieux. 

 

Galeriste : Vos œuvres personnelles, notamment après 1965, semblent empruntes d’une violence et d’une tension nouvelles. Que s’est-il passé ?

Maurice Rocher : La rupture. Avec l’Église catholique, avec moi-même. La peinture est devenue mon exutoire. Je peignais des suppliciés, des visages matière, des couples. C’était une manière d’exorciser mes douleurs.

 

Galeriste : Parlez moi de certaines de vos séries très marquantes comme ces églises déformées, les visages matières, les suppliciés.

Maurice Rocher : Ces églises ce sont mes cathédrales intérieures, souvent féminines, parfois monstrueuses. Leurs façades baroques se métamorphosent progressivement en être vivant. Elles se désarticulent, s’étirent, s’animent, se mettent parfois en route. 

Les visages matière, c’est la dissolution de l’humain dans la matière brute, un cri face à l’absurdité de la condition humaine. 

Quant aux suppliciés… Ce sont des martyrs modernes, des figures de douleur universelle, à commencer par la mienne. Vous exposez notamment mon supplicié N°21, je me suis à l’époque posé la question « combien de temps vais-je jouer ainsi avec le feu avant moi aussi de devenir , physiquement comme l’un d’entre eux…. Demain, demain, serai je le N°21 ?» 

 

Galeriste : Je vous rends hommage, Monsieur Rocher, par l'intercession de votre fille Claire. Nous avons intitulé cette exposition rétrospective avec des œuvres issues de vos séries emblématiques : "Maurice Rocher : du Sacré à la Comédie humaine". En quoi cela résonne-t-il en vous ? 

Maurice Rocher : Votre titre… il est juste. Ce passage du sacré à la comédie humaine, c’est toute ma trajectoire, non seulement en tant qu’artiste, mais en tant qu’homme. Avant, je cherchais des réponses dans le divin, dans une lumière qui viendrait d’en haut pour apaiser les doutes, guérir les blessures. Mes toiles de cette époque, elles en portent encore la trace : des couleurs sombres, brunes et tendues, presque douloureuses, qui tentaient d’atteindre quelque chose d’inaccessible.

Mais peu à peu, j’ai compris que cette quête d’absolu, elle me fuyait, ou peut-être que c’est moi qui m’en éloignais. Et alors, j’ai commencé à regarder ailleurs. Pas vers les cieux, mais vers les hommes, leurs gestes, leurs failles, leurs désirs, leurs souffrances, leur morgue. Le rouge vif a dominé sur le rose chair. La comédie humaine, c’est ça : un théâtre où nous jouons tous des rôles, avec notre grandeur et nos absurdités mêlées. C’est tout compte fait ce qu’expriment mes peintures satyriques des notables (avocats et magistrats, généraux, ambassadeurs, cardinal, tous ces gens de pouvoir…). 

 

Galeriste : Si vous vous êtes éloigné de la foi, croyez vous encore en l'homme ?

Maurice Rocher : Croire en l’homme ? Croire en lui je ne pense pas.  Croire en ce qu’il est, avec ses ombres et ses éclats, oui certainement. Il y a une force, une beauté indéniable dans cette fragilité. Mes œuvres plus récentes en témoignent : des personnages souvent imparfaits, abîmés, parfois grotesques, mais profondément humains dans leur violence et leur fragilité.

Donc, pour répondre à la question précédente, oui, votre titre résonne en moi. Il parle d’une évolution, mais aussi d’une acceptation : celle de la condition humaine surtout dans tout ce qu’elle a de tragique. C’est ce que traduisent mes visages tendus et angoissés toujours tendus vers le haut en interrogation ainsi que mes suppliciés et mes couples. 

 

Galeriste : j’aimerais que nous évoquions votre rapport complexe à la femme. La femme dans  votre œuvre me semble occuper une place importante et parfois ambiguë. 

Maurice Rocher : Dans ma vie, la femme a été une obsession. La femme est à la fois muse et figure sacrée, mais aussi incarnation de mes désirs assouvis ou refoulés, comme je l’ai écrit dans mon journal de bord: « la chair refusée, la chair triomphante et l’Ange noir qui attend son heure, comme les vautours très haut dans le ciel ». Avant 1965, mes représentations féminines évoquent souvent une spiritualité mystique, proche de l’idéal marial. « Dans les moments où j’avais tous les éléments pour être  heureux, la Femme mythique s’est toujours interposée. C’était la femme de chair que je rencontrais en allant dans la rue. Elle s’interposait comme un écran ». Après 1965, la femme devient plus terrienne, ironique, parfois ogresse aux seins lourds, « cette mangeuse d’hommes tant de fois peinte qu’il fallait donc que je l’expérimente moi-même un jour ». 

 

Galeriste : Que souhaitez vous léguer à la postérité ?

Maurice Rocher  : Je ne souhaite rien léguer. Mes œuvres parlent pour elles-mêmes. Je peins pour exorciser mes démons, pas pour plaire ou être compris. Mais si mes vitraux, mes toiles, mes églises-femmes, mes visages matière, peuvent encore toucher sincèrement quelqu’un, alors peut-être que cela vaut la peine.

 

Galeriste : On vous dit inclassable mais on vous définit cependant comme peintre expressionniste. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’expressionnisme ? 

Maurice Rocher : un critique d’art en 1983 m’avait demandé de lui écrire quelques mots sur l’expressionisme. Voici ce que je lui avait écrit : « L'expressionnisme est un "état", une façon d'être, de sentir, de vivre. Il est une exaspération, un déséquilibre, une anomalie, un don empoisonné, mais celui-là qui l'a reçu sait voir et dire ce qui est caché aux autres, même s'il en meurt parfois. Il sait le bouillonnement du sang. Comme un médium, il ressent l'angoisse tellurique, existentielle, cette soif d'absolu que tout homme porte et ignore. L'expressionnisme peut être panthéiste, solaire, il est aussi enfer, il est toujours passion, les mots bonheur et joie ne font pas partie de son jeu, il est plus que le baroque, maléfique parfois, sacré toujours. 

On naît expressionniste, on ne le devient pas. La défiguration n'est pas l'expressionnisme. C'est, au-delà, cette pulsion de la vie à travers la chair, le sang, le feu, la démesure, la folie, parfois la mort.  Les hommes le supportent mal, de quelque pays qu'ils soient, les Français moins que tout autres. Intemporel par excellence, rarement reconnu, mais inséparable de l'homme, de son cheminement tragique et de son destin. 

On tue les expressionnistes comme on tue les prophètes. »

 

Galeriste : quelle phrase de conclusion ! Que souhaiteriez vous dire à ceux qui vont découvrir votre travail lors de cette exposition ? 

Maurice Rocher : l’art est une quête, jamais une réponse. Que ceux qui me regardent cherchent eux-mêmes ce qu’ils doivent trouver.