Crédits photo portrait Naïs : Phillipe Biancotto
Biographie
Née le 26 février 1999 à Clermont-Ferrand, Naïs Marcon est diplômée de l’école des Beaux-Arts d’Aix-en-Provence (ESAAIX), où elle a intégré le studio de recherches « Art Temps Réel «, spécialisé dans l’étude et le questionnement des technologies émergentes et des changements qu’elles génèrent dans la société.
Elle a également étudié à l’école des Beaux-Arts AVU (AKADEMIE VÝTVARNÝCH UMĚNÍ ) en République Tchèque dans le studio des artistes Dušan Zahoranský
et Pavla Sceranková.
La pratique artistique de Naïs Marcon s’articule autour des espaces du commun, orienté sur la porosité qu’entretiennent les espaces publiques urbains et les espaces publiques numériques. La pratique artistique de Naïs Marcon reprend les notions des violences ordinaires, des violences du quotidien intériorisées par la culture, l’histoire et nos modes de vie.
Pour l’exposition « Présent.e.s » à la Galerie Catherine Pennec, Naïs Marcon souhaite prendre le contre-pied de sa pratique habituelle (problématiques sociales et politiques) pour apporter, au travers de ses peintures un moment de légèreté, de contemplation et de poésie.
Elle nous propose ainsi, une série "harmonisée" de peintures avec la même facture picturale.
Expositions
Résidences
Diplômes et parcours
CP : Bonjour Naïs, nous nous sommes rencontrées en fin d’année 2022 lorsque tu m’avais raconté ton séjour en Tchéquie dans le cadre d’un programme Erasmus entre l’Ecole des Beaux-Arts d’Aix-en-Provence et Avu. Tu avais eu la gentillesse de partager ton expérience là-bas et de m’indiquer des lieux d’intérêts à visiter. Tu es restée là-bas pendant un an. Qu’as-tu retenu de cette expérience ?
NM : J’ai adoré découvrir d'autres esthétiques et approches pédagogiques en art. C'était une expérience dense et enrichissante qui m'a permis d'élargir ma vision artistique et d'enrichir ma pratique.
Enseignement de l'Art
CP : Qu’entends-tu par d’autres manières d’enseigner l’art ?
NM : L’école des Beaux-Arts de Prague fonctionne sur le même principe que les Beaux-Arts de Paris : Au début de chaque année d’étude, tu choisis un studio de recherche dirigé par un ou plusieurs artistes. Ce système permet d’avoir une relation suivie de ton évolution par des référent.e.s, j'ai étudié un an dans le studio de Pavla Sceranková & Dušan Zahoranský.
Techniques
CP : Pourquoi l’huile plutôt que l’acrylique ?
NM : Je suis plus sensible aux couleurs de l’huile, pour des raisons esthétiques mais également pratiques. J’aime le rapport au temps qu’induit l’usage de la peinture à l’huile, mais également le rapport à la chimie et à la fabrication de sa peinture. Dans le cadre de l’exposition “Présent.e.s”, j’utilise à la fois des pigments naturels et des peintures déjà préparées en tube.
Processus créatif
CP : As-tu besoin de créer une ambiance lorsque tu peins ?
NM : J’ai une sorte de rite : je brûle de l’encens avec du papier d’Arménie, l’odeur et la fumée me permettent d’entrer en état de concentration sur mon travail de peinture.
CP : Écoutes tu de la musique lorsque tu peints?
NM : Oui, cela m’arrive, mais je préfère écouter des podcasts, par exemple des chroniques criminelles ou des histoires de vie qui captent entièrement ma curiosité et mon attention et me portent vers un état de concentration maximum. Ce qui n’est pas le cas avec la musique (changement de rythmes, de mélodies).
CP : Et lorsque tu écoutes de la musique, quels sont les chanteurs et musiciens qui t’accompagnent ?
NM : Des chanteurs ou groupes que j’écoute depuis toute petite à
la maison : Alain Souchon et l’iconique chanson « Foule Sentimentale », Manu
Chao mais aussi des groupes plus récents et électro comme « Sexy Sushi ». J’écoute souvent la Playlist infinie SlowFocus de la radio NTS.
CP : Es-tu toi-même musicienne ?
NM : Je fais un peu d’accordéon chromatique et de guitare.
Inspiration et Thèmes
CP : Comment démarres tu tes peintures ?
NM : Je m'inspire principalement de photographies et/ou de captures d'écran que je réalise instantanément, puis que je trie et conserve avant de les traduire en peintures. Ces clichés représentent principalement mon entourage et sont initialement pris avec mon téléphone. Les couleurs et les teintes dans mes œuvres s'éloignent souvent de la réalité photographiée. Par exemple, le noir est très présent dans les photographies, mais je le retire dans mes peintures car cette couleur n'existe pas dans la nature et je la trouve trop tranchante. À la place, j'opte pour le sépia, qui me permet d'introduire des nuances plus douces et plus subtiles.
Exposition et Langage
CP : Pourquoi avoir intitulé cette expo « Présent.e.s » et pourquoi avec l’écriture inclusive ?
NM : Dans ma vie de tous les jours, j’utilise au maximum le langage inclusif et particulièrement à l’écrit. Ce langage me semble plus cohérent avec notre époque et ses questions d’inclusivité, c’est également une stratégie simple de "care", de soin à l’autre.
Le titre “Présent.e.s” renvoie à une génération qui vit dans l’instantané et qui se concentre sur l’instant présent. Cette génération marquée par l’instabilité, les crises économiques, sociales, écologiques, ne se projette plus forcément dans la pensée d’un futur Comme s’y attachait la génération précédente. Celle-ci influencée par ses propres parents, héritier.e.s d’un passé de guerre, était davantage axée sur le souvenir du passé et la construction d’un avenir plus stable.
Biographie et Influences
CP : Parle-nous un peu de ton parcours. Tu es née à Clermont-Ferrand en 1999, et tu as étudié aux Beaux-Arts d’Aix-en-Provence.
Qu’est-ce qui t’a poussé à poursuivre des études en art ?
NM : Depuis toujours, j'ai su que je voulais m'orienter vers la création artistique. J'ai commencé par la pratique du dessin, puis j'ai intégré une École des Beaux-Arts, qui m'a permis de découvrir de nombreuses techniques et médiums différents. Cette école a confirmé ma volonté de poursuivre dans la création artistique et a ouvert de nouvelles perspectives et possibilités pour mon travail.
CP : Tu as aussi étudié à l’école des Beaux-Arts AVU en République Tchèque. Comment cette expérience a-t-elle influencé ta pratique artistique ?
NM : Cette période de ma vie a été très enrichissante. Vivre et étudier dans un autre pays m'a permis de rencontrer de nombreuses personnes, principalement dans le secteur artistique. Ces rencontres ont même conduit à la réalisation d'un court-métrage intitulé "STOP BEING MISERABLE" en collaboration avec Ansilde Chanteau. Ce fut également un défi stimulant de concevoir des créations artistiques en perdant totalement mes repères, dans un pays avec des problématiques différentes, une langue différente et des esthétiques influencées par d'autres cultures. La rencontre avec Pavla Sceranková et Dušan Zahoranský a été particulièrement déterminante ; ils m'ont beaucoup soutenue dans mon processus créatif et m'ont intégrée pleinement dans leur studio.
Pratiques et Thèmes Artistiques
CP : Ta pratique artistique s’articule autour des espaces du commun, orientée sur la porosité qu’entretiennent les espaces publics urbains
et les espaces publics numériques. Peux-tu nous en dire plus sur cette démarche ?
NM : Ce qui m'intéresse dans cette porosité, ce sont les nombreux liens que nous entretenons dans nos vies digitalisées. L'espace numérique, étant principalement public, reflète des systèmes similaires à ceux que nous connaissons dans le monde physique. Pour moi, les espaces communs sont très inspirants car ils sont façonnés par l'utilisation que les personnes en font. De la même manière que nos comportements évoluent selon la rue que nous traversons, ils évoluent aussi sur les plateformes numériques sociales. L'influence de notre environnement m'intéresse énormément, car elle soulève des questions politiques sur l'utilisation des espaces communs, telles que les libertés individuelles, la surveillance et notre pouvoir d'action. J'apprécie particulièrement de voir des personnes se réapproprier ces espaces et créer de nouvelles possibilités.
CP : Tu travailles sur la notion globale de « crises » en t’appuyant sur les travaux d’Yves Citton. Pourquoi cette thématique ?
NM : J'apprécie beaucoup les écrits d'Yves Citton, dont l'analyse me semble très juste et pertinente. Lorsque j'écrivais mon mémoire de recherche, j'ai été particulièrement marquée par la lecture de "Renverser l'insoutenable". Dans cet ouvrage, Yves Citton remet en question la notion de crise supposée passagère. En
effet, nous sommes confronté.e.s à une succession de crises qui semblent interminables. Ces crises s'accumulent et nous vivons dans un ensemble de tensions non résolues, car nous ne revenons jamais à un état initial d'avant-crise. J'apprécie cette problématique car la crise est toujours actuelle ; elle se transforme parfois, mais ne disparaît jamais complètement. On trouve toujours sa présence ou les traces de son passage.
Techniques et Influences
CP : Tu es influencée par les concepts de hacking et de détournement. Comment ces idées se manifestent-elles dans ton travail ?
NM : J'apprécie ces concepts pour leur philosophie de réutilisation, leur manière de penser les choses autrement et leur approche dela création à partir d'objets déjà existants. Dans ma pratique artistique, je détourne des objets de leur fonction première. Par exemple, dans l'une de mes pièces intitulée "Alarme !", j'ai récupéré des portiques anti-vol provenant d'un grand magasin pour les intégrer dans un système d'alarme modifié via Arduino. Ce détournement des matériaux me semble particulièrement pertinent à notre époque, car il répond à des préoccupations écologiques, éthiques et économiques. Dans l'exposition "Présent.e.s", j'ai fabriqué une grande partie des châssis et toiles moi-même, tandis que l'autre partie provient de la récupération, ce qui est en accord avec mon idéologie artistique.
CP : Les questions d’interactions, de temps réels, d’attention et de distractions sont également des vecteurs d’inspirations pour toi. Peux-tu nous en dire plus ?
NM : À l'École des Beaux-Arts d'Aix-en-Provence, où j'ai étudié dans un studio de recherche en art numérique, ces questions étaient particulièrement présentes. Pour moi, la notion d'attention est primordiale, notamment dans le champ artistique ; il ne peut y avoir d'art sans attention, et celle-ci est précieuse.
La notion d'attention est également très liée aux réseaux sociaux et à nos usages des téléphones. Ces thématiques sont présentes dans ma création, et je représente souvent des téléphones ou des images issues de ceux-ci. Ma peinture "Screenshot du 11/02/2022" illustre toute une économie de l'attention (livres sur Instagram, collages de messages et de réactions, etc.). En passant par la peinture, cette attention se fige et nécessite un regard différent en raison de sa forme. Yves Citton a également beaucoup écrit sur l'économie de l'attention, ce qui enrichit ma réflexion sur le sujet.
CP : Merci beaucoup, Naïs, pour ce partage riche et inspirant. As-tu un dernier mot pour nos visiteurs ?
NM : Merci beaucoup, Catherine, pour cet entretien, et merci à celles et ceux qui l'ont lu jusqu'au bout ! Je pense que l'époque que nous vivons est très tendue et anxiogène, mais dans sa complexité, elle devient également très inspirante. J'encourage chacun.e à prendre soin de soi en cette période et à poursuivre ce qui les rend heureux.ses. Pour ma part, ce sera la création artistique, qui représente pour moi une opportunité de façonner notre monde selon nos désirs.
À très bientôt ~
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